Nous, les singes

9 octobre 2012

Nous, les singes – Clarence Day – Ed.Phébus – 118 pages.

Au cœur d’une artère noire de monde de Broadway, l’auteur et son ami se posent la question fatale : et si l'homme était d’une autre lignée que celle des primates ? Que serait-il devenu ? Aurait-il régné sur les autres espèces animales ? Quelles aptitudes aurait-il développé ? Quels traits de personnalité collective auraient prévalu ?

Bon nombre d’animaux est passé en revue avec un humour acéré et très « anglais » : les aigles n’auraient pas aimé le music-hall. Les fourmis sont tellement attachées à l’intérêt commun qu’elles n’ont que des devoirs, pas de droit de vote par exemple. On peut supposer que dans un monde félin, il n’y ait pas de marin. La rusticité d’un monde porcin aurait freiné le progrès etc. etc.… Clarence Day, décortique de nombreuses particularités simio-humanoïdes et nous amène à les reconnaître et les interroger.

Cet ouvrage drôle nous fait réfléchir sur les facteurs qui ont pu faire la différence à un moment donné et ont permis, de façon heureuse ou malheureuse, aux singes de céder une partie de leur capital génétique à une nouvelle branche du règne animal, de la classe des mammifères, de l’ordre des primates, de la famille des homidés, du genre homo. Mais est-ce la génétique, l’environnement ou la culture qui ont fait de l’homo erectus, un homo sapiens pour finalement « gagner » le super-titre d’Homme et régner sur les autres espèces ?

Ecrit en 1920, cet opus est très actuel et frappe par la véracité de ses préoccupations. Il vous arrache un sourire à chaque page, voire un rire, mais qu’on ne s’y trompe pas, derrière la gymnastique de nos zygomatiques se cache sans doute la phrase instinctive : « C’est tellement vrai ! »

J’ai beaucoup aimé ce petit livre qui, sans douleur, remet en place l’orgueil humain et nous invite à plus d’humilité.

Citations :

« Les fourmis sont de bonnes citoyennes : elles donnent la priorité à l’intérêt commun. ». – p 20

« Quoi que fasse un primate, il doit toujours en discuter. Il ne peut même pas conclure la paix sans cette espèce de palabre baptisée conférence de paix. » - p- 32

« […] ne pas se servir d’outils n’est pas nécessairement stupide, car leur usage implique de faire appel à la raison, au lieu de se borner à l’instinct. S’en remettre uniquement à l’instinct présente des inconvénients, mais il en est de même pour la raison. Quelle que soit la faculté à laquelle on a recours, l’autre s’atrophie et vous abandonne en partie. Nous tentons d’utiliser les deux, mais nous ignorons toujours laquelle est la plus précieuse. » - p. 47

« Les livres ! Du bavardage en bouteille ! » - p 61.

« Ils considéreront la nature comme « un endroit à aller visiter et contempler ». Ils tenteront de vivre totalement séparés de celle-ci, et d’oublier qu’ils sont ses fils. Oublier ? Ils iront jusqu’à la nier, et se proclamer fils de Dieu. En dépit de toutes ses merveilles, ils regarderont la Nature comme trop humble pour être la véritable mère d’un peuple aussi éminent que les primates. Ils perdront tout respect pour la dignité de notre belle Mère Nourricière, et se murmureront à l’oreille qu’elle n’est qu’une vieille dame mauvaise et indécente. Ils s’empareront de ses dons, scruteront ses mystères sans le moindre respect, et ignoreront la moitié des avertissements qu’elle leur adressera. » - p. 70

« Une deuxième faiblesse de cette espèce naîtra de ses peurs. […] En conséquence, ils éprouveront le besoin de religion trop pressant. Peu de primates ont le courage d’affronter – seuls – l’étendue des mystères intérieurs : l’Infini, l’Espace et le Temps. Ils les trouveront trop terrifiants, ils seront convaincus que traverser sans foi ni croyance des moments de vision sublime ne peut que les liquéfier. Alors dans un premier temps, ils mettront au point des croyances. Pauvre créatures ! » - p 99.