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La Part Manquante
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4 août 2012

Traversée de l’Amérique dans les yeux d’un papillon

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Traversée de l’Amérique dans les yeux d’un papillon – Laure Morali – Ed. Mémoire d’Encrier – Québec – 129 pages

 

Ce livre est plus qu’un roman, c’est le récit d’un voyage initiatique, de la rencontre avec soi, de la découverte de sa route.

 

« La Terre tourne. Où que tu sois, tu tourneras avec elle. Ici, tu seras toujours la bienvenue […] Les voyages te dispersent. Ça va te faire du bien d’entrer dans la tente de sudation. Tu es prête, Ishkuess ? »

Ainsi débute le voyage, quelque part au nord du Québec, à la frontière du Labrador, chez les Innus. Au rythme de l’eau jetée sur les pierres chaudes, 7 au total, accompagnée d’une invocation,  Ishkuess, commence son périple à l’Est , symbole de l’enfance pour ces Amérindiens. Elle nous livre ses souvenirs avec un grand-père plein de couleurs et de poésie aux accents d’Afrique du Nord. Puis, elle nous emmène au Sud, pour continuer à grandir, à la rencontre des Kaliñas, amérindiens de Guyane coincés entre la technologie de Kourou et la culture première, laissés pour compte de la France Métropolitaine, devant les murs du bagne de Maroni. Elle fait une halte à Montréal où elle habite mais d’où elle n’est pas ; nous conte un rêve qui va la suivre tout le reste de son voyage, à la recherche d’une réponse qu’elle ne trouvera qu’en elle.

Pour la troisième pierre, celle de l’Ouest, symbole de l’âge adulte, Ishkuess pousse ses pas jusqu’au Nouveau-Mexique, où dépouillée elle se baigne dans le Rio Grande, accompagnée par un Navajo rencontré au détour d’une station service.

Enfin la quatrième pierre, celle du Nord, symbole de la vieillesse, du repos, nous amène en Alaska, où l’auteure va à la rencontre d’un écrivain perdu sur la banquise.

Les cinquième et sixième pierres sont présentes en filigrane quant à la septième elle est la révélation du roman. Au lecteur de trouver le papillon qu’il suit. Quatre points cardinaux pour quatre contrées a priori différentes , quatre climats, quatre flores, quatre faunes mais elles ont toutes en commun ces amérindiens malmenés par les conquêtes, survivants de l’avidité des hommes à étendre leur hégémonie, gardiens des préceptes de la Nature, transmetteurs des valeurs primitives.

Quatre grandes parties pour ce roman, quatre histoires comme des songes, quatre questions, quatre étapes, quatre marches, quatre niveaux de conscience.

Il faut souligner le chapitre remarquable de l’Eucalyptus, arbre totem, média incontesté entre les hommes et la nature. Chapitre rédigé comme un conte, qui fait le lien entre les deux premières pierres et les deux suivantes.

Ce roman est un trésor. Un trésor de poésie, un merveilleux vecteur à l’introspection. Lorsqu’on lit les mots de Laure Morali, ils prennent corps en musique, ils prennent corps en couleurs, ils prennent corps en odeurs…tous les sens sont excités comme si nous étions nous même dans la tente de sudation et découvrions nos chemins comme autant de perles de sueur. Le style est précis, sobre et raffiné, il éclate en milles étincelles, avec en chuchotement, la voix des anciens, des sages, qui vient résonner dans notre intérieur. Quel bonheur que ces phrases au bout desquelles le cœur palpite de plaisir et où on s’arrête au point en poussant un soupir de contentement ! C’est une mine de citations possibles tellement les évocations des phrases font résonance.

 

Voilà un roman que j’aurais aimé écrire tant il me ressemble, et je crois que c’est là la magie de la plume de l’auteure : ce livre doit sans doute ressembler à chacun de ses lecteurs !

Vous l’aurez compris, j’ai adoré ce roman-récit écrit pas une Française expatriée au Québec « comme si seul l’exil savait guérir les blessures ».

 

~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~

 

Une pluie de Citations:

« La nuit est un soleil qu’on ne connaît que par instant » - p.18

 « […] Je n’ai connu ce confort mental nulle part ailleurs, être accepté sans avoir à justifier sa présence par ce que l’on a fait, fera, ne fera pas. C’est peut-être ça, l’amour inconditionnel, une attitude de survie…Les Innus ont hérité de leurs parents un art d’hospitalité qui leur était nécessaire en temps de famine. Lorsqu’un hiver rude poussait les animaux à se blottir loin de leur vue, ils continuaient à réserver le meilleur de leurs provisions pour les enfants, les aînés et l’étranger, celui qui avait moins de chance à la chasse et qu’il ne fallait pas juger, simplement nourrir. Ce sens de l’accueil leur a coûté cher… » - p.19

 « Il n’y a pas seulement quatre directions, mais cinq avec le ciel, six avec le sol et même sept avec le centre d’où part notre perception. Les sept pierres vont redonner vie à ton histoire. Nos grands-pères sont là pour t’aider. » - p.26

 « La Grande Ourse sort les pointes éblouissantes de ses griffes » - p.35

 « Kaliñas, amérindiens dans un département français d’outre-mer, ils m’ont dit que la France ne reconnaît pas leur statut, par peur que les communautés bretonnes, basques, corses ne réclament leur autonomie et que l’hexagone n’éclate en morceaux. Officiellement il n’y a pas  d’Amérindiens en France. » - p.39

 « Pourquoi tout est-il kaki en Guyane, les militaires, les palétuviers, la mer, les îles du Salut ? » - p.43

 « Il n’y a qu’en écrivant un livre qu’on peut s’évader de l’Ile du Diable » - p.47

 « Depuis ce jour-là, tu sais ce qui me retient sur cette terre ? C’est d’entendre battre le cœur des arbres. » - p.64

 « Tu vois, c’est facile de s’exprimer avec des couleurs. Il suffit de placer la feuille sous l’arbre et de laisser venir. » -p.67

« Je m’élance dans le monde comme une bille projetée sur elle-même en retombant au sol, étourdie par sa propre course. Voilà comment les voyages me mettent en branle certains jours. L’amour est une frontière qui se détache de moi. Les routes n’ont plus assez d’emprise pour m’empêcher de perdre mes pas. D’où vient le sentiment de ne pas mériter de rester en place, de ne pas vouloir déranger ceux qui sont là ? » - p.72

«  […] Passer par l’ouest, ta place actuelle dans le cercle, c’est accepter de mourir pour mieux renaître à l’est, en passant par le repos au nord, et continuer de grandir au sud. » - p.83

« On peut tout vouloir cacher à un enfant, ce qu’il sait, il l’apprend de son sang, comme de la roche de rivière se souvient de la source qu’elle n’a jamais visitée et de la mer où elle n’ira pas rouler. Les rêves, les peurs, les désirs, tout parle d’un autre passé. Avec des choses certaines, on façonne des doutes, et l’envers du vêtement qu’on nous a fait porter se découd sans que l’on sache comment. » - p.96

« Je me nettoie à l’éponge des étoiles et au savon noir des nuages. » - p.101

« La nature n’est pas un conte, c’est une intelligence capable de nous percevoir, de nous lire, de nous traverser et de nous informer. Nimushum mak nukum, tshinishkumitinau. » - p.110

« La fragilité n’est pas un handicap, c’est un don » - p.121

 

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6°/11

 

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Commentaires
A
C'est vrai qu'il a l'air bien !! Je le note ! Merci pour l'idée et pour ce beau compte-rendu.
J
Sensible, intense. Cette auteure m'a pris sous son aile de papillon et m'a fait appréhender mon continent nord-américain dans ses derniers retranchements. Sensible, intense, vraie.
L
Ce roman est à la fois québécois et non québécois puisqu'il est écrit par une française expatriée au Québec...c'est ce qui fait toute la fraîcheur du texte et tout son émerveillement je crois!<br /> <br /> <br /> <br /> Le thème du cercle de Lecture de Tête de Litote pour les mois d'août et septembre est le Canada, ce livre peut tout à fait y trouver sa place.<br /> <br /> <br /> <br /> Ce livre est typiquement celui que j'offrirai à un(e) meilleur(e) ami pour qu'il illustre notre amitié et puisse l'accompagner partout. D'ailleurs, j'ai prévu de l'offrir à ma meilleure amie ...<br /> <br /> <br /> <br /> Bonne lecture à tous ceux qui voyageront dans ces pages! :-)
L
Je te trouve très, mais vraiment très convaincante :)
Z
Ton billet me tente...
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