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La Part Manquante
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La Part Manquante
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18 novembre 2009

L'Audacieux

 

          Elle réajuste pour la quatrième fois, devant le miroir, son bustier orné de lacets, devant et derrière. Furtivement, son regard scrute le maquillage refait il y a cinq minutes. Rapidement ses doigts tirent deux ou trois mêches de cheveux qu’ils mouillent pour mieux qu’elles frisent. Elle laisse couler quelques gouttes de Shalimar dans son décolleté, les fragrances de ce parfum lourd lui chatouillent le nez ; odeurs chaudes de vanille, de musc, sucrées et tellement… elle se sourit. Décidemment ce parfum ne la quittera jamais, elle y revient toujours, fidèle. Fidèle à l’idée qu’elle a d’être une femme Shalimar

          Elle sera en retard à son rendez-vous à l’autre bout de Paris. Il n’y a plus personne au bureau, c’est vendredi et tout le monde est parti de bonne heure. Elle baisse les volets, éteint les lumières, s’assure que tout est fermé, claque la porte d’entrée et donne deux tours de clef. Sa voiture est au bout de l’allée, le soleil brille encore beaucoup, c’est un beau mois de juin.

          Elle est ravie de cette invitation. Elle a besoin de temps en temps de sortir, de sortir seule, d’aller retrouver des connaissances, des amis. Il n’y a qu’avec eux qu’elle fait la fête. Ils savent faire la fête. Ce sont toujours de très bons souvenirs. Elle est d’humeur à s’amuser.

          Très vite elle se retrouve dans les embouteillages franciliens des départs en week-end des parisiens campagnards éphémères. Elle sera vraiment en retard… Elle a le temps de penser à ceux qu’elle va pouvoir peut-être retrouver ; celle avec qui elle a travaillé les huit premières années, ou celui qui était son directeur avant qu’elle ne le devienne elle-même. Peut-être y aura-t-il ce médecin dont elle était follement amoureuse et avec qui elle a su trouver son chemin de vie. C’était une de ses vraies histoires d’amour, une de celles où ils ont préféré dire que faire, où ils ont préféré rêver que faillir. Car elle est convaincue que faillir c’est perdre l’amour de l’autre car il n’y a alors plus rien à conquérir. Faillir, c’est ne plus jamais s’arrêter, c’est avancer coûte que coûte et souvent on se retrouve devant ou derrière l’autre. Faillir, c’est être deux sur le même chemin. Rêver c’est faire le délicieux songe de n’être qu’un. Faillir c’est ne faire qu’un éphémère et espérer qu’il soit éternel, mais ce n’est qu’un rêve.

          Elle est enfin sortie des embouteillages et est presque arrivée au lieu de rendez-vous. Le château est au bout de l’allée. Déjà il y a de nombreuses voitures. Elle se gare, descend et réajuste une ultime fois son bustier. L’allée est longue mais déjà elle aperçoit des silhouettes un verre à la main. De la musique lointaine parvient à elle, des rires, puis des paroles qu’elle ne comprend pas encore. Elle cherche son hôte. Bientôt elle l’entrevoit et va le saluer, ils échangent quelques mots. Elle se retrouve avec une coupe de champagne à la main, il y a beaucoup de monde et elle n’a reconnu personne.

          Il fait doux et le soleil chauffe encore la peau. Elle profite de ce moment agréable et se décontracte. La musique est agréable et déjà quelques danseurs se risquent sur la piste. Elle sourit et soupire de bien-être. D’habitude, elle n’aime pas trop le champagne, il lui monte vite à la tête. Ce soir, elle l’apprécie. Elle porte la flûte à ses lèvres et laisse l’alcool envahir sa bouche, lui picoter les papilles et couler dans sa gorge. Le verre est à peine vide qu’un jeune serveur le remplit à nouveau. Elle accepte, tant pis, elle aura l’ivresse…Elle observe encore l’ensemble des invités, ses yeux cherchent celui qu’elle espère tant, après si longtemps. Un homme s’avance vers elle, ils se connaissent bien, ils s’embrassent, se sourient. « Ça fait longtemps ! comment vas-tu? où travailles-tu maintenant ? » Discussion banale, conventionnelle mais agréable. Ils échangent leurs point de vue sur tout et rien. D’autres se joignent à eux, ils se connaissent tous. Leurs parcours professionnels se sont croisés quelques fois au cours des quinze dernières années. Ils en ont tous parcouru du chemin. Ils sont tous cadres désormais mais ils n’ont rien perdu de leur simplicité, de leur sincérité. Ça fait du bien de se retrouver, de se reconnaître, d’avoir le sentiment de faire partie d’une grande famille avec ses alliances, ses rivalités, ses amitiés et ses indifférences. Elle les regarde uns par uns, s’arrête sur leurs visages et les trie : il y a ceux rencontrés par hasard, qui sont très vite sortis de son cercle et qui y reviennent au gré de leur histoire, ceux qui ne quittent jamais le cercle et qui sont là, toujours, immuables, ceux qui naviguent dans plusieurs sphères, présents ou absents ils restent, fidèles, comme une ombre qui vient à la lumière et s’incarne au moindre coup dur pour l’épauler, la soutenir, l’encourager et puis il y a ses rencontres subreptices mais si intenses, celles qui marquent la vie, celles qui s’impriment dans la mémoire des évènements importants. Ceux-là sont peu ; les rencontres foudroyantes d’une vie doivent être exceptionnelles pour qu’elles restent inoubliables. Il n’est pas là, viendra-t-il ?

          Soudain elle sent une main chaude se glisser sur sa hanche et la presser délicatement, des lèvres tièdes embrassent longuement le creux de son cou. Simultanément un sursaut et un frisson la traversent, son cœur bat vite, très vite, elle ferme les yeux pour mieux espérer voir un visage familier. Dans un petit cri soupiré elle se retourne pour découvrir l’audacieux.

septembre 2000

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Commentaires
Z
Superbement écrit ! Et la suite ? Vite vite, je veux savoir !!!
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